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Claude Rich
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Bernard Noël, prince et brigand de comédie


Portrait de Claude Rich dans "Château en Suède" de Françoise Sagan.

Préface de l'ouvrage : Bernard Noël, prince et brigand de comédie

Je me souviens de la petite maison de tes parents au bord de la départementale, en Champagne pouilleuse.

Ton père et ta mère étaient de tradition paysanne. Par un certain côté, Bernard, tu leur ressemblais. Solide.  Tes mains, d'homme de la terre. Tes belles mains de paysan et d"artiste. Quand tu jouais, on ne pouvait pas ne pas voir tes mains, qui dessinaient des arabesques, qui exprimaient ta pensée. Ton rire formidable, si réconfortant, qu’on entendait venir de loin.

Tu étais aussi un poète. À travers tes poèmes, tu en as écrit de magnifiques, nous retrouvons tout un passé mystérieux reçu en héritage de cette Champagne pouilleuse si dure, mais si vraie. Cette terre qui t’a façonné. Tu étais profondément cet homme-là… mais tu étais aussi, celui que tes amis comédien, le public a connu ; Le Capitaine Fracasse jouant sa vie à chaque représentation. Déclamant, transpirant avec une énergie sans pareille !

Un jour, en mousquetaire du roi, tu as couru vers ton canasson avec une telle fougue, que tu l’as dépassé, et qu’on t’a retrouvé assis dans l’herbe de l’autre côté de l’animal, hébété, le froc sur les chevilles. On a recommencé la prise, la caméra tournait, alors, tu as éperonné la bête avec une telle énergie, que le cheval affolé s’est emballé et ne s’est arrêté qu’une heure après, épuisé, en pleine forêt.

Jouer avec toi, Bernard, c’était s’amuser. Il y a tellement à dire sur tous tes personnages ! Dans Victor ou les enfants au pouvoir, tu étais mon père ! Un père si démesuré, que ton « Paumelle » est resté, pour nous tous, une création inoubliable. Nous t’aimions pour ta chaleur amicale, ton enthousiasme. Tu étais le Général, tu marchais devant, nous suivions ton panache blanc.

 Un jour tu es parti à Paris vivre ta vie d’acteur, et tu es revenu à Chavanges auprès de ta mère pour y mourir. Quelques jours avant la fin de ta vie, nous marchions tous les deux dans les rues du village. Tu as voulu me faire voir le cimetière. Vieux cimetière de campagne, avec ses fleurs artificielles, ses inscriptions « Regrets éternels », et tu regardais ça - l’œil vague. Et puis une inquiétude est apparue dans ton regard… Tu m’as dit : — Te souviens-tu du nom des trois filles du roi Lear, depuis cette nuit je ne fais qu’y penser, je ne me souviens pas du nom de la troisième. Alors nous avons téléphoné partout. Et un vieux professeur d’un village voisin nous a dit que c’était Cordelia. Alors la paix est revenu sur ton visage, et nous sommes rentrés chez toi. Tu étais bien à Chavanges, Bernard… mais si loin de la vie du théâtre.

Le jour de ta mort, Jean Anouilh a écrit : « Bernard, vous étiez la jeunesse, la force, la gaieté, la gaillardise française l’humour – moitié seigneur, moitié truand – vous étiez la chose la plus rare de notre profession : le style. Vous étiez la conscience des grands ouvriers de notre métier, sous des airs d’insouciance et de liberté. »

 Claude Rich

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