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René Rémond

Hélène Viannay : L'instinct de résistance de l'Occupation à l'école des Glénans


René Rémond de l'Académie française

Préface Hélène VIANNAY

Quelle heureuse idée a eue Clarisse Feletin d'une biographie d"Hélène Viannay ! C’est l’une des missions des historiens ou des journalistes que de mettre en lumière des personnalités dont seuls ceux qui ont eu le privilège de les approcher ou de partager un peu de leur existence savent la richesse et de révéler le rôle qu’elles ont joué dans l’histoire. De ces personnalités Hélène Viannay fait assurément partie. Encore fallait-il qu’elle donne son consentement à ce projet et lui prête son concours. Ce ne fut sans doute pas le moindre mérite de Clarisse Feletin que d’avoir triomphé des résistances d’Hélène Viannay, plus préoccupée de la pérennité de la mémoire de la Résistance que soucieuse de sa propre réputation, et de l’avoir convaincue de parler d’elle-même et d’évoquer les moments les plus importants de son existence.  Le présent ouvrage est ainsi le fruit de leurs entretiens, les questions de l’une suscitant les souvenirs de l’autre.

Le lecteur découvrira deux personnalités, celle d’Hélène et celle aussi de Philippe Viannay dont elle a partagé la vie et les activités. Deux personnalités aussi dissemblables que possible. Lui, fils de bonne famille, française depuis des siècles, élevé dans le catholicisme, patriote comme on l’était dans les milieux conservateurs, attaché aux valeurs traditionnelles et à qui l’inspiration première de la Révolution nationale ne posait pas de problèmes de conscience. Elle, orpheline, étrangère, Russe d’origine juive, détachée de toute croyance religieuse, rebelle à tout ordre imposé, éprise de liberté, avec un goût de l’aventure qui lui a fait aimer l’Exode. Mais l’un et l’autre croyaient à des valeurs supérieures aux choix politiques et avaient l’amour de la France. Si pour Philippe, ce sentiment faisait partie de l’héritage, pour Hélène c’était un choix librement fait et son attachement allait à la France de la Révolution, de la liberté, de l’universel. Ses engagements la portaient naturellement à gauche et elle n’a pas eu à attendre longtemps pour se faire une opinion sur le régime du maréchal Pétain : d’emblée elle a refusé l’armistice. Leur différence même illustre la diversité des motivations et des convictions qui ont animé les résistants.

À travers la conversation qui s’est nouée entre Hélène et sa jeune interrogatrice, le lecteur découvrira les traits de sa personnalité qui inspire à tous ceux qui la connaissent estime et admiration : un attachement indéfectible à ses convictions, un caractère entier, au sens positif du terme qui ne transige point, en particulier dans ses jugements sur les personnes : on en trouvera un aperçu dans les appréciations réservées ou critiques portées sur tel ou tel auxquels elle ne pardonne pas d’avoir oublié les valeurs pour lesquelles ils étaient entrés en résistance, une fierté qui lui a toujours interdit de quémander comme une faveur ce qu’elle estimait être un droit, une générosité profonde.

Personnalité flamboyante, Philippe était à la fois un visionnaire et un réalisateur : toute sa vie, il a conçu des projets et créé des institutions.  L’objectif atteint de son premier engagement, dans la Résistance, il ne s’est pas démobilisé. Jusqu’à son dernier souffle, il n’a guère cessé d’imaginer des réponses aux problèmes de société que discernaient sa lucidité critique et son insatisfaction et d’inventer des formules qui tendaient toutes à arracher la France à une médiocrité routinière et à la moderniser.  Philippe est à cet égard représentatif de la génération qui ayant eu vingt ans autour de 1940 a été marquée pour la vie par l’humiliation de la défaite : elle s’est alors juré de tout faire pour que ne se reproduise jamais une honte pareille. Pour ouvrir une fenêtre sur l’extérieur, il a créé le Centre de Formation Internationale.  Pour les mêmes raisons, il a été, avec le soutien de Paul Delouvrier, à l’origine du Foyer international de la rue Cabanis, dont le rôle a été décisif dans le resserrement des relations entre jeunesses de peuples différents.  Dans le même esprit, convaincu de la nécessité de dispenser une information de qualité, il a créé le Centre de Formation des Journalistes. Je l’ai connu, plus tard, adonné à la réalisation d’un autre projet, inspiré des mêmes préoccupations : celui d’un Institut voué à la formation des cadres supérieurs dans une perspective de culture générale et d’ouverture sur le monde. Cet établissement placé sous le patronage d’Auguste Comte se serait installé dans les bâtiments abandonnés par l’École polytechnique sur la Montagne Sainte-Geneviève. Il avait obtenu pour ce projet l’appui des pouvoirs publics et le soutien de quelques grands chefs d’entreprise. La réalisation en fut torpillée par l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 qui supprima les crédits promis par le gouvernement précédent.  Cet échec lui fut sans doute cruel et je suis heureux de pouvoir rendre hommage à cette dernière manifestation de sa capacité d’innovation.

Ces entretiens apportent un témoignage de première main sur l’histoire contemporaine. Deux moments majeurs, dont Hélène Viannay a été témoin et acteur, se détachent de ses confidences, deux aventures bien différentes : la Résistance et les Glénans. Certains s’étonneront peut-être de voir rapprocher des activités aussi dissemblables mais Hélène et Philippe y ont appliqué les mêmes vertus et les deux entreprises font partie de l’histoire générale.

La Résistance ? Les souvenirs d’Hélène Viannay aideront peut-être les plus jeunes qui ont quelque difficulté à se représenter concrètement les conditions de l’action clandestine, à comprendre les problèmes de toutes sortes, matériels, techniques, posés par les opérations successives de fabrication et de diffusion de la presse clandestine. On mesure l’ingéniosité et le courage qu’il fallut à ces journalistes improvisés pour résoudre ces questions, comme pour déjouer les risques qu’ils couraient. Le succès de Défense de la France dont le tirage de certains numéros finit par atteindre des centaines de milliers d’exemplaires, est un grand chapitre de l’histoire de la presse de la Résistance.

L’autre grand moment évoqué est l’aventure des Glénans dont les commencements furent des plus modestes, comme ceux de Défense de la France. J’ai aimé ce récit : c’est un des chapitres les plus attachants. Il restitue la situation objective de la France au sortir de la guerre, les difficultés matérielles de toute sorte, la pénurie générale, la misère.  Mais il fait revivre l’état d’esprit de ce temps : le soulagement d’avoir échappé au pire, l’allégresse de la liberté retrouvée, la fidélité à l’esprit de la Résistance, une aspiration irrésistible à faire du neuf et une certaine insouciance juvénile. Amorcée avec des moyens dérisoires, l’entreprise a été une extraordinaire réussite qui a changé la société. On ne saurait majorer trop les conséquences de ce qui a débuté dans ce petit archipel : c’est de l’école de voile, improvisée par ces novices qui ne connaissaient rien à la mer que partit le grand mouvement qui devait rénover la plaisance. Philippe et Hélène Viannay ont refait des Français un peuple de marins et une nation de navigateurs.

On permettra, à celui à qui Hélène Viannay a fait l’honneur de confier la présidence du jury du prix qu’elle instituait sous la double référence à Philippe Viannay et à Défense de la France, de souligner la continuité de son action qui trouve son principe dans la fidélité à la résistance et aussi de rendre hommage à sa générosité : c’est elle qui a souhaité que le prix distingue aussi des ouvrages évoquant d’autres résistances que la Française, et qui eut notamment l’idée qu’il consacre la recherche d’un historien du pays qu’elle-même avait combattu, illustrant ce qu’il y avait de meilleur dans l’inspiration de la Résistance, sa part d’universel.

 René RÉMOND

Réalisé avec Sitedit