Les nouveautés Romans noirs Jeunesse Collection Psy Guide Santé Biographies Pratique Société Tapage Romans
 
Claire Brisset

A comme Adoption


Préface de Claire Brisset, Défenseure des Enfants (2000/2006)

Amour, Asile

Le livre de Patricia Mowbray aurait pu être un récit. Une autobiographie, un témoignage d’expériences vécues, heureuses ou douloureuses. Son auteur l’aurait pu, mais ne l’a pas voulu. Certes, comme tout ouvrage, si distancé qu’il paraisse de la vie de son auteur, ce livre comporte le signe,  la griffe d’une expérience singulière.
Mais ce livre est tout autre chose. Il porte témoignage d’un retour sur soi, retour nécessaire pour fonder la réflexion, une réflexion qui refuse de se réduire au témoignage. Patricia Mowbray cherche depuis des années à dépasser l’expérience personnelle, nécessairement limitée et contingente, pour se tourner vers celle des autres. Et ce faisant, elle ouvre sa recherche sur un phénomène aussi ancien que l’humanité : l’adoption.
De tous temps, des êtres humains, hommes et femmes, ont aimé, élevé, accompagné des enfants qu’ils n’avaient pas engendrés. Des enfants abandonnés, orphelins, trouvés sur les marches d’une église ou dans le « tour » d’une institution charitable. Ces adoptants se sont révélés parents, quelquefois parce qu’ils étaient liés à cet enfant par des attaches familiales : oncles, tantes, grands-parents. Mais parfois aussi parce qu’ils s’étaient tout simplement voulus parents et que sur leur chemin s’était trouvé cet enfant-là, devenu unique, celui que l’on a choisi, et qui, de ce fait, comme le dit très joliment Patricia Mowbray, « est né deux fois ».

En quelques phrases, au début de ce livre, Patricia Mowbray situe son histoire personnelle pour n’y plus revenir : sa naissance dans le Devon, en Angleterre, puis sa « deuxième naissance », quelques années plus tard,  lorsque ses parents adoptifs sont venus la chercher dans une pouponnière de Paris, un 14 février, jour de la Saint-Valentin : est-il plus joli symbole d’une histoire d’amour ?
Car l’adoption est avant tout une histoire d’amour,  et c’est bien ce qui transparaît tout au long de cet ouvrage. Dans sa démarche originale – elle a choisi d’analyser l’adoption à travers des mots qui commencent par la lettre « A » – Patricia Mowbray a décidé de ne pas faire figurer le mot « amour ». Sans doute a-t-elle jugé que ce n’était pas nécessaire puisqu’elle définit d’entrée de jeu la démarche même de l’adoption comme un acte d’amour.

Mais l’amour, nous le savons tous, n’a rien de simple, et c’est cette complexité même qui se déroule au fil de la lecture à travers les mots choisis, parmi lesquels on trouve « abandon », « abomination », « absurde »… Les parents qui choisissent d’abandonner un enfant sont, en effet,  stigmatisés dans un monde où l’amour parental serait, en quelque sorte, obligatoire, consubstantiel à la parentalité.
On sait bien qu’il n’en est rien, le nombre d’enfants maltraités et même d’homicides le prouve à l’évidence.
Pour l’enfant, l’abandon restera comme une profonde blessure que les circonstances de sa vie viendront – ou non – cicatriser. L’ignorer ne sert à rien, bien au contraire. L’adoption vient précisément porter remède à cette blessure, même si ce remède n’est pas toujours opérant, ou n’agit que partiellement. L’adoption cherche à  renouer des fils brisés, à re-situer l’enfant dans une autre filiation, et ces fils brisés seront autant de « fragments de liens » qu’il faudra retisser : sa vie durant, l’enfant devenu adulte, devra composer avec ses origines dissociées.

En France, depuis le début des années quatre-vingt,  plus de 100 000 personnes ont été adoptées dont quelque 80 000 en provenance d’un pays étranger. Ces 100 000 personnes forment-elles pour autant une « communauté » ? En aucun cas : elles mènent chacune une existence singulière, exactement comme celles dont la vie n’a pas été marquée de cette singularité originelle.
Mais toutes partagent cette expérience particulière, qui a commencé à travers les dédales d’un maquis administratif, un autre « A », l’Administration, que Patricia Mowbray se refuse à stigmatiser. Si tatillonne et intrusive soit-elle quelque fois, l’administration entrave les dérives mercantiles qui ont, parfois, dévoyé la démarche d’adoption.
Les enfants adoptés à l’étranger proviennent, majoritairement de trois continents en A : l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine. Pour certains d’entre eux leur pays d’origine paraîtra si lointain, si inaccessible, si fantasmatique qu’ils s’en détourneront pour toujours sans même l’avoir connu. D’autres, au contraire, chercheront sans relâche à le retrouver dans une quête difficile, parfois même impossible de réconciliation entre un pays perdu et celui qu’ils ont reçu. Chacun tentera à sa manière de renouer les fils de sa destinée. 

Parvenu au terme de cet ouvrage, qui fait voyager à travers la géographie de l’adoption mais aussi à travers son histoire, depuis l’Antiquité, le lecteur prolonge sa réflexion. La lettre A, qui constitue le fil d’Ariane de ce livre, est elle-même marquée des contradictions analysées tout au long de ce livre. A l’alpha privatif des Grecs, que l’on retrouve dans a-typique ou a-social, le français a adjoint le « a » latin, en d’autres termes le « ad » qui marque au contraire le mouvement vers l’autre. Et le français associe les deux sans trop y prendre garde, très symboliquement. La langue est la meilleure amie des humains.Une idée vient spontanément à l’esprit, me semble-t-il, à l’issue de cette lecture, cette idée, ce mot, c’est celui d’asile. Non pas l’asile de la santé mentale, un mot heureusement abandonné aujourd’hui par la psychiatrie ; mais l’asile au sens du refuge, du refuge inconditionnel vers lequel se tournent ceux qui se sentent menacés ou persécutés, ceux que leur pays n’a pas pu ou pas voulu protéger. L’adoption, entre autres, offre un asile à ces enfants-là, une protection à laquelle ils avaient droit mais qu’ils n’ont pas pu trouver.
Lorsqu’on revient en France, un bébé dans les bras,  d’un pays ravagé par la guerre ou par la famine et que, dans l’avion, une voix venue de la cabine de pilotage, prononce cette phrase d’apparence si anodine : « Bienvenue en France », le mot asile prend tout son sens. C’est celui auquel, pour ma part, j’ai songé en refermant ce livre.


Claire Brisset

Réalisé avec Sitedit