Pascal-Henri Keller est professeur de psychopathologie à l’Université de Poitiers et psychanalyste.
Actuellement considérée comme une pathologie à part entière, la « dépression » prend en réalité, d’innombrables apparences. Dans ces conditions, prétendre aller à la rencontre du peuple déprimé dans un livre, comme Jacques Perrin est allé dans un film à la rencontre du peuple migrateur, risque d’apparaître comme une aventure bien compliquée. Ne serait-ce qu’à propos des symptômes dépressifs, n’existe-t-il pas autant de « dépressions » que de personnes « déprimées » ? Et concernant les causes de ces symptômes, chaque recherche ne prétend-elle pas en avoir découvert de nouvelles ? La situation très particulière de cette « maladie » sans véritable cause organique connue n’empêche pourtant pas la médecine de multiplier à l’envi les traitements médicaux ; bien qu’il ne s’agisse, de l’aveu même des fabricants, que de traitements symptomatiques. Quant à l’approche psychologique des symptômes en question, elle est le plus souvent présentée comme aléatoire, mais surtout, de longue durée. Enfin, lorsque la sociologie propose son explication des symptômes dépressifs, c’est sans objectif particulier si ce n’est descriptif, et surtout bien sûr sans visée ni prétention thérapeutiques.
Dans les faits et à la différence des maladies corporelles, des plus génétiques aux plus infectieuses, la « maladie dépressive » implique bel et bien une dimension non-matérielle de l’être humain. Et cette dimension prend d’autant plus d’importance que personne ne sait vraiment d’où provient exactement la souffrance dépressive. Infection microbienne ? Mauvais fonctionnement d’un organe ? Lésion plus ou moins décelable à l’œil nu ? Rien de tout cela. Tout au plus dans de très récents travaux comme on le verra, certaines images du cerveau montrent-elles de légères différences entre zones cérébrales – comme l’hippocampe – selon que la personne soumise à l’IRM se dit déprimée ou non. Pour autant, aucun scientifique sérieux n’ose affirmer que la dépression puisse être diagnostiquée ou expliquée chez quelqu’un, à partir du seul état de son hippocampe.
Dans cette Lettre ouverte aux déprimés, Pascal-Henri Keller s’adresse donc aussi bien aux victimes de la souffrance dépressive qu’à leur entourage ; aussi bien à ceux qui l’étudient, qu’à ceux qui la traitent, l’accompagnent ou la prennent en charge. Il leur propose un tour d’horizon en partant de cette situation singulière aux multiples facettes : un humain frappé par un mal indiscutable que nul ne peut expliquer d’une seule façon ; un soulagement quipeut surgir aussi rapidement qu’il se dérobe ; mais aussi un battage médiatique démesuré qui, à lui seul, témoigne des bénéfices qu’il génère.
En définitive, qu’on en soit victime, qu’on tente d’y porter remède ou que l’on en tire ses revenus, tout le monde aborde « la » dépression à sa façon. Mais ceux qui sont préoccupés d’une manière ou d’une autre par la souffrance dépressive, et redoutent la pensée unique, d’où qu’elle vienne, auront à cœur de lire ces lignes.
Du même auteur
Ouvrages
Keller P-H., 1997,
La médecine psychosomatique en question, Odile Jacob
Keller P-H. et Pierret J., 2000,
Qu’est-ce que soigner ?, La Découverte-La Mutualité
Keller P-H., 2006,
Le dialogue du corps et de l’esprit, Odile Jacob
Keller P-H., 2008,
La question psychosomatique, Dunod
Chapitres d'ouvrages
Keller P-H., 2004, (dir., F. Marty),
De l’analogie corps-psychisme, in :
Ce que souffrir veut dire, Éditions In Press
Keller P-H., 2006, (dir. A. Tarpinian),
Prendre soin du sujet en souffrance : acte médical ou psychothérapique ?, in :
Être Psychothérapeute. Questions, pratiques, enjeux, Dunod
Revues
Keller P-H., 2005,
La souffrance psychique : un marché prometteur,
Psycho media, n° 7
Keller P-H., 2006,
Sexualité et dépression, Psycho media, n°9
Keller P-H., 2007,
Discours neuroscientifique, discours psychanalytique,
Revue française de psychanalyse, PUF